La longue nuit de la Syrie, par Mohed Altrad

Tribune - La longue nuit de la Syrie

Par Mohed Altrad (Président du Groupe Altrad) - Publié le 16 décembre 2024 à 12:45

 

La Syrie va avoir besoin de temps et de moyens pour se reconstruire. L'Europe a une carte à jouer dans le processus à venir, à condition de ne pas renvoyer brutalement les réfugiés syriens chez eux, estime l'entrepreneur franco-syrien Mohed Altrad.

Né en Syrie près de Raqqa, pas loin de l'Euphrate, je suis venu en France après le bac, au moment où Hafez el Assad prenait le pouvoir. J'ai étudié, appris la liberté et créé une entreprise qui est devenue très grande. Les événements qui viennent de se passer me touchent bien évidemment : tous les Syriens de cœur ou de naissance ont un sentiment de libération et de fierté. La Syrie va peut-être enfin signifier autre chose que la torture et la répression. J’ai en moi depuis longtemps les vers de Mutanabbi, un des plus grands poètes arabes qui écrivait : « Voici Damas, la perle des cités/Un trésor de savoir et de pouvoir/Ses minarets s’élèvent comme des prières/Ses jardins chantent au rythme des rivières ». Retrouver ces jardins, c’est notre rêve à tous.

Reste à se confronter très vite avec la réalité. Les sujets géopolitiques dont on parle ces derniers jours sont essentiels car la Syrie est le théâtre de l'affrontement des puissances régionales. Et l'avenir du pays dépendra à coup sûr des intentions du nouveau chef, Abou Mohammed Al-Joulani (qui a repris son nom Ahmed Al-Charaa, NDLR), qui a fait tomber le régime criminel des Assad. J'espère que l'ancien leader djihadiste va « prendre le chemin de Damas ». Souvenons-nous des Actes des Apôtres et de l'histoire de Saul de Tarse, futur apôtre Paul. Alors farouche adversaire des premiers chrétiens, il allait vers Damas, mais son voyage fut interrompu par une vision céleste : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? », Saul fut conduit à Damas, où il recouvra non seulement la vue, mais aussi une nouvelle foi. Il devint alors Paul, l'un des plus ardents apôtres du christianisme. Joulani ne se convertira pas, mais espérons qu'il tienne sa promesse de ne pas persécuter les minorités.

Défis immenses

C'est essentiel car la Syrie a des défis immenses face à elle. Deux facteurs majeurs doivent être pris en compte : la situation de la population et celle de l'économie. L'anarchie règne encore : il y a un peu partout des zones plus ou moins autonomes, liées à des puissances régionales ou des groupes djihadistes. Pourtant, l'afflux de réfugiés est massif. Plus de 6 millions de Syriens ont fui leur pays depuis le début de la guerre civile en 2011, dont 3,2 millions en Turquie et 800.000 au Liban. Sept millions ont quitté leur domicile mais sont restés dans le pays.

Une très grande majorité veut « rentrer chez elle ». Mais pour aller où ? ONU-Habitant estime que plus de 350.000 maisons et appartements ont été détruits. Près de 13,6 millions de résidents n'ont pas accès à l'eau potable, à l'hygiène et à l'assainissement. Il faut 2,5 milliards de dollars selon La Banque Mondiale pour reconstruire les logements. Quelque 96 % de la population vivent par ailleurs avec moins de 7 dollars par jour. Et il faut reconstituer toutes les chaînes de valeur de l'alimentation, ce qui coûterait au moins 3 milliards de dollars. Quant à l'économie en général, sa situation est désastreuse : la Banque mondiale estime à 87 % la baisse du produit intérieur brut depuis 2011 (de 67 milliards de dollars à 9 !).

Une conférence internationale pour reconstruire

Dans ces conditions, plusieurs décisions s'imposent pour l'Europe et la France : il faut d'abord continuer à examiner les demandes d'asile des Syriens en Europe. Dans l'intérêt de la Syrie mais aussi de l'Europe, il faut éviter l'afflux de population dans un pays aujourd'hui exsangue où la misère et le dénuement seront accentués par le retour des réfugiés. La Syrie a besoin de temps pour se reconstruire. Les Européens ne doivent pas considérer que tous les problèmes de la Syrie ont été réglés en 24 heures Les Kurdes notamment ne sont pas dans une situation facile.

Ensuite, il faut rapidement - mais sans précipitation - organiser une conférence internationale pour la reconstruction. Les Turcs sont à l'affût (les actions des grandes entreprises de BTP ont gagné 10 % lundi au lendemain de la chute d'Assad), les investisseurs du Golfe aussi. L'Europe a pourtant une carte à jouer car elle a des moyens financiers importants et une grande expérience de la gestion post-conflit. La France est aimée en Syrie. A elle de prendre des initiatives pour que l'Europe ne renvoie pas brutalement les réfugiés syriens chez eux. A elle de lancer une dynamique pour que la communauté internationale trouve un moyen de faciliter - et d'encadrer - la reconstruction syrienne.

Les défis sont immenses, les difficultés innombrables. Mais, la perspective d'une Syrie libre, conforme à son histoire, s'ouvre enfin. Soyons au rendez-vous de son histoire. Ayons confiance dans la force des Syriens. Et construisons ensemble une perspective de paix.

Mohed Altrad

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